Quels risques de cancer ? Pour quels organes ?
Une réponse détaillée en fonction du gène muté
Frédéric L. Mars 2025

Depuis les années 90 il est possible de diagnostiquer le syndrome de Lynch par le séquençage des gènes MMR (MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2) et du gène EPCAM qui permet de mettre en évidence les mutations (on parle désormais de variants pathogènes) responsables du syndrome de Lynch.
Depuis cette date, les suivis médicaux des porteurs du syndrome de Lynch sont enregistrés dans des registres de santé. En particulier, à l’initiative du groupe EHTG (European Hereditary Tumor Group, www.ehtg.org) la base de données internationale PLSD (the Prospective Lynch Syndromes Database (https://plsd.eu/) a été créée.
Elle contient actuellement les suivis médicaux de 8500 porteurs du syndrome de Lynch. La grande taille de cette cohorte a permis d’effectuer des analyses statistiques robustes. Un des objectifs de la base de données PLSD est de déterminer les risques de cancer par organe et par gène muté.
Le tableau ci-dessous indique l’incidence cumulée (ou risque cumulé) de cancer à 75 ans pour chaque organe à risque du spectre Lynch et pour chaque gène MMR muté (colonnes de gauche). Il a été adapté à partir des données publiées par Mev Dominguez-Valentin et coll en 2023 (1). Le Dr Dominguez-Valentin nous a autorisés à reproduire ses résultats.
Afin de prendre conscience de l’augmentation des risques de cancer des porteurs du syndrome de Lynch, il faut les comparer à ceux de la population générale (non Lynch). Aussi, le tableau indique sur la colonne de droite le risque cumulé de cancer par organe pour la population générale française en 2022. Les données ont été collectées sur le site internet du Global Cancer Observatory(International Agency for Research on Cancer) (2).
Les incidences cumulées de cancer à 75 ans les plus significatives sont indiquées en gras.

(1) d’après Mev Dominguez-Valentin et coll :Mortality by age, gene and gender in carriers of pathogenic mismatch repair gene variants receiving surveillance for early cancer diagnosis and treatment: a report from the prospective Lynch syndrome database. EClinicalMedicine. 2023;58:101909. Doi: 10.1016
Sans surprise, les 2 principaux organes à risque sont le colon/rectum et l’endomètre.
En se focalisant sur la première ligne, on voit que le colon et le rectum sont des organes à risque modéré pour la population générale (3,7% : presque 4 personnes sur 100 auront un cancer dans leur vie). Les porteuses d’une mutation du gène PMS2 ont 2fois plus de probabilité d’avoir un cancer colorectal (8,5%),ceux d’une mutation MSH6 : 4 fois plus, et les porteurs d’une mutation MLH1 ou MSH2 ont plus de 10 fois plus de risque de cancer colorectal que la population générale. Autour d’1 porteur sur 2 d’une mutation MLH1 ou MSH2(et des hommes pour PMS2) risquera un cancer colorectal au cours de sa vie !On comprend l’intérêt des coloscopies fréquentes qui permettent de repérer les polypes et de les enlever avant qu’ils ne se transforment en tumeurs.
Le risque de cancer de l’endomètre est plutôt faible pour les femmes non-Lynch (1,6%), mais 13 fois plus important pour les porteuses d’une mutation PMS2 (21,2%) et plus de 20 fois augmenté pour les porteuses d’un variant pathogèneMLH1, MSH2 ou MSH6 : autour d’1porteuse sur 2risque un cancer de l’endomètre au cours de sa vie. Là encore, on comprend l’intérêt d’un examen gynécologique poussé annuel. On comprend également pourquoi il est proposé d’enlever l’endomètre après 40-45 ans.
Le risque cumulé de cancer des ovaires est presque nul pour la population non-Lynch. Il reste faible avec le gène PMS2 mais passe à plus de 6% pour les porteuses d’une mutation MLH1 et MSH6 et à plus de 13% pour MSH2. La possibilité d’enlever les ovaires après 40-45 ans est donc justifiée.
Le risque cumulé à 75 ans de cancer de l’estomac et celui de l’intestin grêle sont très faibles pour la population générale. Ils sont augmentés pour MLH1 ou MSH2, notamment pour les hommes, mais restent inférieurs à 10%. Comme la gastroscopie est un examen rapide et en général sans contre-indication, pourquoi s’en priver ? Autant la programmer en même temps que la coloscopie pour profiter de la même anesthésie générale. Le gastroentérologue profitera de l’examen de l’estomac pour explorer le début de l’intestin grêle (le duodénum).
Le cancer des voies urinaires excrétrices, très rare en général, est particulièrement augmenté pour les porteurs d’une mutation MSH2 (presque 20% de risque cumulé de cancer à 75 ans), pour qui une surveillance urothéliale est recommandée (cytologie urinaire à la recherche de cellules suspectes, ECBU, échographie annuelle des voies urinaires).
Jusqu’à présent, la prostate n’était pas considérée comme un organe à surrisque pour le syndrome de Lynch. Il est désormais admis qu’il y a une augmentation de risque liée aux variants pathogènes de MSH2 (24%). De toute façon, le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent des hommes de la population générale, et il est recommandé à tous les hommes, Lynch ou pas, une surveillance de la prostate à partir de 50 ans, par exemple en surveillant de taux de PSA dans le sang.
Jusqu’à présent, le sein n’était pas cité comme organe à risque accru avec le syndrome de Lynch. De nos jours, certains auteurs pensent qu’il y a une très légère augmentation du risque de cancer du sein. De toute façon, le cancer de la femme est le cancer le plus fréquent dans la population générale. La surveillance annuelle du sein est donc recommandée pour toutes les femmes, y compris après la ménopause ou une éventuelle hystérectomie-annexectomie, à partir de 50 ans.
Les atteintes cutanées ne figurent pas sur le tableau mais le syndrome de Lynch (notamment avec les mutations du gène MSH2) peut parfois s’accompagner de tumeurs bénignes (adénome sébacé, kératoacanthome) ou malignes (carcinome épidermoïde, carcinome basocellulaire). Certaines familles sont sujettes aux atteintes cutanées. Une surveillance dermatologique annuelle est préconisée pour ces familles et pour les porteurs d’une mutation MSH2. La préservation du capital UV est également fortement conseillée.
Les tableaux figurant dans la publication se trouvent en fin d’article. Ils indiquent les risques cumulés d’avoir un cancer à 30, 40, 50, 60, 70 75 ans. Nous n’avons retenu que les pourcentages de risque cumulé de cancer à 75 ans pour construire notre tableau, afin le rendre simple à analyser. Mais en simplifiant on perd toujours des informations.
L’analyse des tableaux complets révèle que le risque de cancer débute vers 30 ans pour les mutations de MLH1 et MSH2, autour de 40 ans pour MSH6, autour de 45 ans pour PMS2. Nos cancers surviennent donc en général plus tôt que pour la population générale, en particulier pour MLH1 et MSH2.
L’incidence cumulée de cancer (tous organes confondus) est également plus forte pour les variants pathogènes de ces deux gènes.
La figure ci-dessous illustre ces deux paramètres :

Focus sur le gène EPCAM (non représenté sur le tableau) : il entraine un syndrome de Lynch quand la délétion de son extrémité 3′ entraine l’inactivation du gèneMSH2 (qui se trouve localisé sur l’ADN juste après le gène EPCAM), aussi les risques de cancer des variants pathogènes de EPCAM sont proches de ceux de MSH2.
Pour conclure, ce tableau donne une idée générale des risques de cancer par organe et par gène impliqué. Mais d’autres facteurs peuvent moduler les niveaux de risque de cancer. On en connait certains comme le tabac, l’alcool, la sédentarité, le surpoids. Le syndrome de Lynch entraine une augmentation de risque de cancer, autant ne pas augmenter cette augmentation de risque !
Il est fortement recommandé de manger équilibré (réduire viande rouge et charcuterie, de favoriser une alimentation riche en fibre et en légumes), de pratiquer un minimum d’activité physique et de surveiller son poids, d’éviter le tabac et l’alcool.
Enfin, on ne le dira jamais assez : la surveillance médicale permet d’éviter certains cancers (par exemple en repérant les polypes avant qu’ils ne se transforment )ou de les repérer à un stade précoce, souvent facile à prendre en charge. Dans notre propre intérêt, organisons notre suivi médical, ne laissons pas passer les dates d’examen (deux ans d’intervalle entre deux coloscopies, ça passe vite, on peut tous en témoigner …). Et bien entendu, soyons à l’écoute de notre corps. Si quelque chose ne va pas normalement, ne perdons pas de temps pour consulter.
Annexe : les 4 tableaux détaillés par gène impliqué dans le syndrome de Lynch (incidence cumulée de cancer par organe et par tranche d’âge) tirés de la publication « Mortality by age, gene and gender in carriers of pathogenic mismatch repair gene variants receiving surveillance for early cancer diagnosis and treatment : a report from the prospective Lynch syndrome database », Mev Dominguez-Valentin et coll, 2023
Vous pouvez aussi télécharger les 4 tableaux reproduits en annexe ci-dessous avec le lien suivant :



