Frédéric L. mars 2025

Celui par qui tout commence s’appelle Aldred Scott Warthin (1866–1931), qui deviendra directeur du laboratoire de pathologie de l’université du Michigan au début du XXesiècle.
A la fin du XIXe siècle, le Dr Warthin n’est encore qu’un jeune médecin anatomopathologiste quand sa couturière prédit devant lui qu’elle mourra jeune d’un cancer de l’utérus ou des intestins (ce qui sera hélas le cas quelques années plus tard). Curieux, Aldred S. Warthin l’interroge et apprend qu’à chaque génération, de nombreux membres de sa famille sont touchés par le cancer (essentiellement : colon ou endomètre), souvent à un âge précoce.
Frappé par cette histoire, le Dr Warthin entreprend dès 1895 de reconstituer l’arbre généalogique de cette famille, qu’il appellera la famille G. constatant en effet la grande fréquence de certains cancers dans la famille G, le Dr Warthin a l’intuition que des cancers « familiaux » pourraient être transmis de génération en génération. Après avoir étudié 29 autres familles frappées de façon inhabituelle par le cancer, il décide de diffuser le résultat de sa recherche dans une publication scientifique (1) parue en 1913,comprenant l’arbre généalogique de ces familles (dont la famille G), où il pose l’hypothèse de l’héritabilité de certains cancers. Cette idée novatrice est d’autant plus remarquable qu’à cette époque les principes de l’hérédité définis par Gregor Mendel n’ont pas encore convaincu la communauté scientifique.
Il faut attendre une cinquantaine d’années pour que la science fasse un nouveau pas de géant. Celui qui va permettre cette avancée majeure s’appelle Henry Thompson Lynch (1928-2019). Quand la seconde guerre mondiale éclate, Henry T. Lynch ment sur son âge (car il est légalement trop jeune pour être incorporé), ce qui lui permet de servir dans la marine. De retour aux états unis après la guerre, il entame une courte carrière de boxeur professionnel (qui lui laissera une belle cicatrice au-dessus de l’œil droit) avant d’entreprendre des études de psychologie, génétique et médecine.
Devenu médecin en 1960, il entreprend en parallèle de la recherche en génétique humaine. En 1962 il s’intéresse à deux familles touchées par le cancer colorectal sans polyposes. Henry Lynch publie le résultat de ses observations en 1966 (2) : Ce sera la première description du syndrome de Lynch, même si ce nom n’existe pas encore. Comme pour Aldred S. Warthin 50 ans plus tôt, la publication du Dr Lynch rencontre de nombreux détracteurs qui réfutent l’idée qu’une partie des cancers puisse avoir une origine génétique. Il faudra 20 ans d’accumulation de preuves pour que les idées de Henry T Lynch soient reconnues par la communauté scientifique. Au cours de sa carrière, il publiera au total la généalogie de plus de 3000 familles prédisposées au cancer. Il sera le premier à décrire la prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire.
En fin de carrière, Le Dr Lynch dirige la chaire de médecine préventive de l’université Creighton à Omaha (Nebraska). Précurseur, il crée les consultations de génétique avec établissement de l’arbre généalogique familial permettant de suspecter une prédisposition héréditaire au cancer.
Enfin, Henry T. Lynch fonde en 1984 la clinique de prévention des cancers héréditaires de Creighton, où il met en pratique son idée novatrice d’une surveillance médicale adaptée comme moyen de dépister précocement le cancer.
Dans les années 70, un système de réparation des mésappariements de l’ADN est identifié chez la bactérie Streptococcus pneumoniae(3), chez qui il est appelé système Hex (deux gènes seront identifiés : hexA et hexB), puis chez la bactérie Escherichia coli(4), chez qui il est appelé système Mut (trois gènes seront identifiés : mutS, mutL et mutH). Le mécanisme sera élucidé par la suite grâce aux nombreuses études menées sur le modèle E.coli.
A l’époque, aucun lien avec le syndrome de Lynch n’est encore fait. Pour ceux qui ont des bases en biologie moléculaire, voici le lien vers une vidéo (5mn) qui décrit le mécanisme moléculaire de la voie MMR :
https://www.youtube.com/watch?v=vsS7LIBtH8Q
En 1984, apparaissent deux dénominations : syndrome de Lynch et syndrome HNPCC (hereditary non polyposis colorectal cancer). Au début, c’est plutôt le terme HNPCC qui prévaut, mais il a le défaut de mettre le focus sur la sphère colorectale au détriment des autres organes dont l’endomètre, dont le risque de cancer est pourtant similaire à celui du colon. Peu à peu la dénomination syndrome de Lynch s’impose.
En 1991 sont définis les premiers critères diagnostiques du syndrome de Lynch : les critères d’Amsterdam.Ce sont des critères cliniques qui reposent sur l’histoire familiale. Les critères d’Amsterdam seront révisés en 1999 en critères d’Amsterdam II (5) :
- Au moins 3 apparentés sont atteints d’un cancer du spectre Lynch, sur 2 générations successives.
- Au moins 1 un cancer survient avant 50 ans.
- Il n’y a pas de polypose adénomateuse familiale.
En 1997 sont proposés les critères de Bethesda (6), légèrement différents (par exemple, ils incluent la mise en évidence d’une instabilité microsatellitaire dans l’analyse histologique d’un cancer colorectal).
Les critères d’Amsterdam ou de Bethesda manquent de sensibilité et de spécificité, mais c’est mieux que rien pour diagnostiquer le syndrome de Lynch à l’échelle familiale ! Mais on ne peut pas dire précisément quel enfant est porteur ou pas du syndrome de Lynch.
Dans les années 80, des chercheurs (dont Sylviane Olschwang, première présidente de notre conseil scientifique) montrent que certaines zones chromosomiques sont liées au syndrome de Lynch (7). En 1993 il est démontré que des mutations du gène MSH2, homologue humain du gène bactérien mutS, entrainent un syndrome de Lynch (8). La preuve sera donnée l’année suivante pour MLH1, homologue humain du gène bactérien mutL(9) puis MSH6 et PMS2.
Homologues humains du gène d’E.Coli mutS :
MSH2 = mutShomolog 2
MSH6 = mutShomolog 6
Homologues humains du gène E.Coli mutL :
MLH1 = mutLhomolog 1
PMS2 = PMS1 homolog 2
Il devient enfin possible de diagnostiquer individuellement et sans équivoque le syndrome de Lynch, de façon infaillible, par mise en évidence d’une mutation (ou variant pathogène) d’un gène MMR. Dès 1995, 3 laboratoires proposent le séquençage de ces gènes en France. Ils sont 26 en 2020 !
Le dispositif national d’oncogénétique se déploie à partir de 2003, permettant d’harmoniser peu à peu les pratiques. Entre 2003 et 2020, 14 500 personnes porteuses d’une altération génétique signant le syndrome de Lynch ont été identifiés.
En 2009 (10), il est démontré que des délétions terminales du gène EPCAM peuvent entrainer un syndrome de Lynch. Le gène EPCAM (Epithelialcelladhesionmolecule) n’a aucun rapport avec le système MMR, mais il se trouve localisé sur le chromosome 2 juste devant le gène MSH2, et des délétions de l’extrémité du gène EPCAM peuvent inactiver l’expression du gène MSH2.
Dernier fait marquant : A partir de 2010, les premiers essais thérapeutiques testant le pembrolizumab ou le nivolumab montrent que L’immunothérapie est particulièrement efficace pour traiter les cancers caractéristiques du syndrome de Lynch (dMMR/MSI). (11)
Annexe : histoire de la famille G
La famille G est la première famille étudiée par le Dr Warthin. Elle est porteuse du syndrome de Lynch. Son étude conduit Aldred Warthin à émettre l’hypothèse de « cancers héréditaires ». 50 ans plus tard, Henry Lynch reprend l’étude de la famille G. Elle n’a plus cessé d’être étudiée depuis. En 2005, une publication relate l’histoire de la famille G, pour célébrer le centenaire des observations (12). La famille G est de nos jours l’une des familles « Lynch » les mieux documentées (en 2000 : l’arbre généalogique comporte 929 descendants du 1er ancêtre identifié porteur d’une mutation du gène MSH2, né en 1796 à Plattenhardt (Allemagne) et immigré aux Etats-Unis en 1831).
La famille G est la première famille étudiée par le Dr Warthin. Elle est porteuse du syndrome de Lynch. Son étude conduit Aldred Warthin à émettre l’hypothèse de « cancers héréditaires ». 50 ans plus tard, Henry Lynch reprend l’étude de la famille G. Elle n’a plus cessé d’être étudiée depuis. En 2005, une publication relate l’histoire de la famille G, pour célébrer le centenaire des observations (12). La famille G est de nos jours l’une des familles « Lynch » les mieux documentées (en 2000 : l’arbre généalogique comporte 929 descendants du 1er ancêtre identifié porteur d’une mutation du gène MSH2, né en 1796 à Plattenhardt (Allemagne) et immigré aux Etats-Unis en 1831).

Bibliographie (non exhaustive !) des publications scientifiques citées dans cet article :
(1) Heredity with reference to carcinomas shown by the study of the cases examined in the pathological laboratory of the university of Michigan, 1895-1913. Aldred Scot Warthin, M.D. Arch Intern Med (Chic). 1913;XII(5):546-555.
(2) Hereditary factors in cancer. Study of two large midwestern kindreds. Lynch H.T., Shaw M.W., Magnuson C.W., Larsen A.L., Krush A.J. Arch Intern Med 1966; 117: 206–12
(3)Mismatch correction in pneumococcal transformation: donor length and hex-dependent marker efficiency. W. R. Guild, N. Shoemaker. J. Bacteriol. 125:125-135 (1976)
(4) Repair tracts in mismatched DNA heteroduplexes. R Wagner Jr, M Meselson. PNAS 73(11):4135-9 (1976)
(5) New clinical criteria for hereditary nonpolyposis colorectal cancer (HNPCC, Lynch syndrome) proposed by the International Collaborative group on HNPCC.Vasen H et coll. Gastroenterology 116(6):1453-6 (1999)
(6) Revised Bethesda Guidelines for hereditary nonpolyposis colorectal cancer (Lynch syndrome) and microsatellite instability. Umar A. et coll. J Nat Cancer Inst 18;96(4):261-8 (1997)
(7) Concerted nonsyntenic allelic loss in human colorectal carcinoma. D J Law, S Olschwang et coll. Science 19;241(4868):961-5 (1988)
(8) Mutations of a mutS homolog in hereditary nonpolyposis colorectal cancer. F S Leach et coll. Cell75(6):1215-25 (1993)
(9) Mutation in the DNA mismatch repair gene homologue hMLH 1 is associated with hereditary non-polyposis colon cancer. C. Eric Bronner et coll. Nature 368:258–261 (1994)
(10) Heritablesomatic methylation and inactivation of MSH2 in families with Lynch syndrome due to deletion ofthe 3′ exons of TACSTD1. Ligtenberg MJ, Kuiper RP et coll. Nat Genet. 41:112–7 (2009)
(11) PD-1 Blockade in Tumors with Mismatch-Repair Deficiency. Dung T. Le, Jennifer N. Uram et coll. N Engl J Med 372:2509-2520 (2015)
(12) History and molecular genetics of Lynch syndrome in family G: a century later.Julie A Douglas, Stephen B Gruber, Henry T Lynch et coll. JAMA. 294(17):2195-202.(2005)